Libérer le potentiel du « deuxième sexe » pour le bien-être économique global

This op-ed was originally published in the Tribune de Genève on September 8.

Dans Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir écrivait : « La femme libre est seulement en train de naître ; quand elle aura conquis son autonomie, (…) elle accédera aux mêmes emplois, elle s’y adaptera sans difficulté, elle se les appropriera. »

Près de 80 ans plus tard, ses mots résonnent toujours. Les écarts d’activités entre femmes et hommes restent marqués, en Suisse comme ailleurs. À Genève, les femmes effectuent 68 % des heures rémunérées des hommes ; en Suisse, 61 %. Leur salaire horaire est inférieur de 17 % à celui des hommes, bien qu’elles soient plus qualifiées, et elles assument 50 % d’heures domestiques de plus que les hommes.

À l’échelle mondiale, la division du travail entre les sexes varie fortement, sans lien clair avec le niveau de richesse. En Inde, les femmes travaillent 77 % d’heures de moins que les hommes, mais effectuent huit fois plus d’heures domestiques. En Chine, elles accomplissent 72 % des heures des hommes, mais 2,5 fois plus de travail domestique. Ces écarts suggèrent que normes sociales et institutions pèsent davantage que le pouvoir d’achat dans la répartition du travail entre les sexes.

Au-delà des débats moraux ou politiques, ces écarts ont un coût économique. C’est ce que mesure le Global Gender Distortion Index (GGDI), développé aux universités de Genève et Yale et la Banque mondiale. L’indice estime les gains en termes de PIB qu’un pays réaliserait si les femmes participaient au marché du travail dans les mêmes proportions et formes d’emploi que les hommes — autrement dit, si les choix professionnels étaient indépendants du genre.

Les résultats sont frappants. Aux États-Unis, où la situation s’est pourtant améliorée depuis 1970, l’allocation genrée des talents coûte encore près de 2 % du PIB chaque année. En Suisse, le gain potentiel atteint 1 % du PIB par habitant — l’équivalent de la croissance annuelle moyenne récente. Comme l’emploi féminin y est surtout à temps partiel, le GGDI sous-estime ces gains. À l’échelle mondiale, ils pourraient atteindre 15 % en Inde, 10 % en Éthiopie, 6 % au Brésil et en Ouganda.

Comment réaliser ce potentiel ? Le GGDI ne mesure pas l’impact de politiques spécifiques, mais indique si les freins viennent de l’offre de travail (choix ou contraintes individuelles) ou de la demande (conditions d’emploi). En Suisse, la demande est en cause. Des pistes prometteuses relèvent donc des entreprises, pour qui congés parentaux renforcés, organisation du travail plus souple, politiques de promotion adaptées et carrières flexibles ne sont pas un coût, mais un levier de productivité et de croissance.

Autour de l’initiative work-in-data, l’Université de Genève affine la mesure des inégalités de travail et nourrit le débat public, aux côtés des institutions internationales de la ville, pour transformer les constats en actions — vers une égalité réelle, bénéfique à toutes et à tous.